Le texte
évangélique
Marc 12, 28-30
28 Après avoir
entendu sa discussion avec les Sadducéens et reconnaissant qu’il leur avait
bien répondu, un des spécialistes de la Bible s’approcha de Jésus pour
l’interroger : « Parmi tous les commandements, quel est le plus important? » 29
Jésus lui donna cette réponse : « Voici le premier : Écoute Israël, le Seigneur
notre Dieu est l’unique Seigneur, 30 et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout
ton cœur, de tout ton être, de toute ton intelligence et de toute ta force. 31
Voici le deuxième : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas
d’autre commandement plus grand que ceux-là. » 32 Le spécialiste de la Bible
reprend : « Très bien, maître, tu as eu raison de dire qu’Il est l’unique, et à
part Lui il n’y a rien d’autre. 33 De plus, l’aimer de tout son cœur, de toute
sa capacité de discernement et de toute sa force, et aimer le prochain comme
soi-même, tout cela est plus grand que tous les sacrifices d’animaux et toutes
les offrandes au temple. » 34 Alors, remarquant qu’il avait répondu sagement, Jésus
lui dit : « Tu n’es pas loin du monde de Dieu. » Et plus personne n’osait
l’interroger.
Le commentaire
Faire le ménage
avec nos religions
Récemment, Mohamed Morsi, président récemment élu
d’Égypte, a déclaré devant le scandale provoqué par un film dénigrant l’Islam
(l’innocence des musulmans) : « La liberté des hommes s’arrête là où commence
la loi de Dieu. » En d’autres mots, la religion et les lois religieuses ont une
priorité sur tout ce qui est humain, incluant la liberté humaine. Qu’en
pensez-vous? À l’opposé, j’ai le souvenir d’un oncle qui, voulant se disculper
d’être un catholiques non pratiquant et connaissant mon intérêt pour la Bible,
me disait : « Dans le fond, ce que la religion chrétienne nous demande, c’est
de nous aimer les uns les autres, n’est-ce pas? » Selon vous, lequel de M.
Morsi ou de mon oncle a raison? Et si c’était ni l’un ni l’autre… Laissez-moi
expliquer en relisant avec vous l’évangile de ce jour.
Un scribe ou spécialiste de la Bible pose une question
à Jésus sur le plus grand de tous ces commandements qu’on retrouve dans la
Bible, dont certains évaluaient le nombre à 613, 248 consistant en des
commandements positifs (« fais ») et 365 en des commandements négatifs (« ne
fais pas »). Dans ce contexte, on comprend l’importance d’établir des
priorités. Vous connaissez la réponse de Jésus qui se divise en deux parties :
d’abord la reconnaissance que Dieu est unique et l’appel à l’aimer de tout son
être, une reprise de la prière « Chéma Israël » qu’un Juif reprenait matin et
soir, puis l’amour du prochain considéré comme un autre soi-même. Le scribe,
retrouvant dans la réponse de Jésus des passages tirés de la Bible, s’empresse
de l’appuyer avec d’autres passages. Jésus conclut qu’il a tout à fait raison,
mais ajoute que s’il n’est pas loin du monde de Dieu, il n’y est pas tout à
fait encore. Question : mais voyons, que manque-t-il à ce scribe qui est
pourtant très bien?
Pour bien comprendre la réponse de Jésus, il faut
d’abord se demander : pourquoi parle-t-il d’un premier commandement, puis d’un
deuxième? Est-il en train d’établir un ordre de priorité, si bien que le
premier passe avant le deuxième, et qu’en cas de conflit, le premier a
préséance? Ce serait mal connaître l’ensemble de son message. Notons que Jésus
ne parle pas d’abord d’amour de Dieu, mais d’unicité de Dieu : le Seigneur
notre Dieu est l’unique Seigneur. Qu’est-ce que cela veut dire? Quand on dit
d’une réalité qu’elle est unique, on affirme qu’il n’existe rien d’autre de
comparable. Et dans le cas de Dieu, on doit admettre deux choses : puisqu’il
n’y a aucune réalité dont nous faisons l’expérience qui se compare à lui, sa
compréhension nous échappe, il demeure un mystère; de plus, Dieu étant par
définition un absolu, il ne peut être que le seul absolu, tous les autres étant
des idoles ou faux dieux : pouvoir, argent, autorité, plaisirs, honneur,
gloire, lois, etc. Parmi les idoles ou les faux dieux, il faut même ajouter la
religion, quand celle-ci prétend être un absolu alors qu’elle n’est qu’une
expression socioculturelle d’une expérience religieuse sans doute authentique,
mais avec toutes les limites des gens qui l’expriment à ce moment.
Rappelez-vous que plus tôt dans la journée Jésus a fait le ménage au temple de
Jérusalem. Accepter de vivre avec un absolu qui demeure un mystère, donc qu’on
ne maîtrise pas vraiment et éliminer tous les faux absolus, est extrêmement
difficile : parlez-en aux Hébreux marchant dans le désert sous la direction de
Moïse et demandant d’avoir une religion agraire et de rendre un culte au veau
d’or, un réalité qu’ils maîtriseraient mieux qu’un Dieu dont il ne pouvait
dessiner le visage. Pourtant, c’est la condition essentielle pour entrer dans
le monde de l’amour, l’amour de Dieu et l’amour des autres. Voilà pourquoi
Jésus ne peut pas lancer son invitation à l’amour sans d’abord parler de
l’unicité de Dieu. Laissez-moi expliciter davantage.
Vous connaissez le « Big Bang », du moins, vous en
avez entendu parler. C’est la théorie la plus répandue dans le monde
scientifique pour expliquer la naissance de l’univers, et surtout pour
expliquer pourquoi les astres s’éloignent continuellement les uns des autres,
comme propulsés à partir d’un même point, une explosion originelle. Dans le «
Big Bang » il y a deux éléments essentiels : tout d’abord l’énergie centrale
inouïe, puis l’espace ou le vide infini qui permet une expansion infinie. Si le
« Big Bang » reflète quelque chose de Dieu, on ne sera pas surpris de constater
qu’il peut servir d’analogie pour comprendre la réalité spirituelle de Dieu
dans nos vies : tout part du centre de nous-mêmes, du plus profond de notre
cœur. S. Paul écrit : « L'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le
Saint Esprit qui nous fut donné. » (Rm 5,5) Par la suite, l’histoire humaine
devient l’expansion de cet amour qui vient de Dieu même, à l’image de
l’univers. Pour permettre cette expansion, il faut de l’espace, et donc la mort
de tous les faux absolus; car ceux-ci mentent en disant : je vais étancher ta
soif, je vais combler tes besoins, je vais enfin te permettre de t’assoir et te
reposer. Cet amour est en expansion infinie tout comme l’univers, car elle
vient de Dieu et ne peut être étanché que par Dieu lui-même. Voilà pourquoi «
tu aimeras le Seigneur ton Dieu » est le premier commandement, il est l’origine
et la fin de tout ce qui existe. Par contre, personne n’a vu Dieu, et donc on
ne peut aimer concrètement une réalité qui nous échappe. La première lettre de
Jean dit ceci : « Si quelqu'un dit: "J'aime Dieu" et qu'il déteste
son frère, c'est un menteur: celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne
saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas. » (1 Jn 4,20) En d’autres mots,
l’amour de Dieu passe nécessairement par l’amour du prochain. Ainsi, amour de
Dieu et amour du prochain sont indissociablement liés : la seule façon d’aimer
Dieu c’est de commencer par aimer celui ou celle qui est à côté de moi. Plus
précisément, chercher à découvrir les vrais besoins des gens et y travailler
constitue le chemin vers Dieu. Penser plaire à Dieu en multipliant les gestes
dit religieux est une immense illusion : « Aimer Dieu de tout son cœur, …aimer
le prochain comme soi-même, tout cela est plus grand que tous les sacrifices
d’animaux et toutes les offrandes au temple. » dit le scribe de l’évangile.
On comprend maintenant la réponse de Jésus. Une vie
humaine, la mienne comme la vôtre, doit prendre conscience de tous les faux
absolus de sa vie et les refuser comme absolus, et cela se fait en affirmant
que l’Absolu est unique et n’est en rien comparable à tout ce que nous
connaissons. Cela permet d’être attentif à ce qui gronde dans notre cœur, comme
un immense volcan, un amour intense qui ne demande qu’à s’exprimer, comme le «
Big Bang ». Cet amour a les dimensions de l’univers et ne pourra être rassasié
que par l’infini de Dieu, car il a pour origine Dieu lui-même, mais il ne peut
s’exprimer qu’à travers les êtres humains qu’il rencontre et dont il essaie de
combler des besoins véritables.
En quoi le président égyptien Morsi, dont nous avons
parlé au début, a-t-il tort? C’est d’imaginer une opposition entre les lois
religieuses et les besoins humains : si les lois religieuses s’opposent aux
besoins humains, elles sont alors des idoles ou des faux absolus, car les
besoins humains véritables prennent leur source en Dieu même, et cela inclut la
liberté. En quoi mon oncle, dont j’ai également parlé au tout début, a-t-il
tort en disant que la religion chrétienne se résume à nous aimer les uns les
autres? C’est de réduire la foi chrétienne en un ensemble de préceptes moraux à
respecter. Mais, direz-vous, qu’il y a-t-il de mal à ces magnifiques principes
moraux de l’amour. Le mal, ce sont les faux absolus des principes. L’amour
n’est pas une question de principe, c’est l’abandon à ce qui jaillit du plus
profond de notre cœur, un volcan dynamique dont la lave ne suit pas de chemins
tracés d’avance, mais suit les méandres de la réalité changeante.
Dernière question : qu’est-ce qui manque au scribe ou
spécialiste de la Bible dont Jésus apprécie la réflexion, selon s’écrit
l’évangéliste Marc? Deux choses. La première, il n'a pas encore découvert que
ce n’est pas d’abord l’être humain qui aime, mais c’est Dieu a pris
l’initiative d’aimer en intervenant dans notre humanité, et que le commandement
de l’amour qu’il nomme a un visage, celui de Jésus. La deuxième, l’amour qui
s’épanouit va rencontrer la souffrance et la mort, et que cette mort ne
contredit pas l’amour, mais l’ouvre sur une dimension infinie. C’est ce qu’a
vécu Jésus.
Après avoir dit tout cela, qu’est-ce que je veux
retenir de cet évangile de Marc? D’abord, m’émouvoir en prenant conscience que
toute la vie de Jésus est l’expression de l’amour de Dieu, qu’il appelait «
papa », et du prochain qu’il essayait sans cesse de remettre debout. Ensuite,
ce qui a habité Jésus m’habite également. Mais cela amène la question : dans
quelle mesure suis-je prêt à laisser libre court à cette formidable énergie
amoureuse, et donc à faire le ménage avec toutes mes religions?
-Octobre 2012
En espagnol ici, DESDE MI BLOG PERSONAL
Mc 12, 28-34
Un Scribe s'approche de Jésus. Il ne vient pas lui tendre un piège ni discuter avec lui. Sa vie est fondée sur des lois et sur des normes qui lui indiquent comment se comporter à chaque instant. Une question s'est éveillée cependant dans son cœur: Quel est le premier des commandements? Qu'est-ce que le plus important pour réussir sa vie?
Jésus comprend très bien ce que cet homme ressent. Lorsque dans la religion, on accumule des normes et des préceptes, des coutumes et des rites, on se disperse facilement sans savoir exactement ce qui est fondamental pour orienter sa vie d'une manière saine. C'est quelque chose de ce genre qui arrivait dans certains secteurs du judaïsme.
Jésus ne reprend pas les commandements de Moïse. Il lui rappelle simplement la prière que tous les deux ont récitée ce même matin au lever du soleil, en suivant la coutume juive: "Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur; tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur".
Le Scribe pense à un Dieu qui a le pouvoir de commander. Jésus le place face à un Dieu dont il faut écouter la voix. Le plus important n'est pas de connaître des préceptes et de les accomplir. Ce qui est décisif c'est de s'arrêter pour écouter ce Dieu qui nous parle sans prononcer des paroles humaines.
Lorsque nous écoutons le Dieu véritable, un attrait vers l'amour s'éveille en nous. Ce n'est pas, à proprement parler, un ordre. C'est ce qui jaillit en nous lorsque nous nous ouvrons au Mystère ultime de la vie: "Tu aimeras". Dans cette expérience il n'y a pas d'intermédiaires religieux, pas de théologiens ni de moralistes. On n'a besoin de personne du dehors pour venir nous le dire. Nous savons que le plus important c'est d'aimer.
Cet amour envers Dieu n'est pas un sentiment ni une émotion. Aimer celui qui est la source et l'origine de la vie c'est vivre en aimant la vie, la création, les choses et, par dessus tout, les personnes. Jésus parle d'aimer "de tout son cœur, de toute son âme, de tout son être". Sans médiocrité ni calculs intéressés mais d'un cœur confiant et généreux.
Jésus ajoute quelque chose dont le scribe n'a pas parlé. Cet amour envers Dieu est inséparable de l'amour du prochain. On ne peut aimer Dieu qu'en aimant son frère. Autrement, l'amour envers Dieu est un mensonge. Comment pourrions-nous aimer le Père sans aimer ses fils et ses filles?
Nous ne faisons pas toujours attention à cette synthèse de Jésus. Nous avons fréquemment tendance à confondre l'amour de Dieu avec les pratiques religieuses et avec la ferveur, tout en ignorant l'amour pratique et solidaire envers ceux qui sont exclus par la société et oubliés par la religion. Mais, quelle vérité y-a-t-il dans notre amour envers Dieu si nous tournons le dos à ceux qui souffrent?
José Antonio Pagola
Traducteur: Carlos Orduna, csv